Le débat actuel sur les fonds communs et assimilés des agents du ministère de l’économie des finances et du développement pose la problématique globale de la justice fiscale. Cette approche de gouvernance commande une certaine équité dans la répartition des dépenses publiques et dans la collecte des recettes publiques. Dans un tel système il faut donner à chacun selon ses besoins et prendre à chacun selon ses capacités contributives.

Au Burkina Faso, on dénombre au total une vingtaine de fonds communs et assimilés répartis entre une dizaine de ministères et institutions. Ces avantages, qui coûtent des dizaines de milliards à l’Etat par an, sont non seulement en augmentation constante, mais aussi souffrent dans leur mode d’allocation d’absence de base d’équité ou de référentiel de plafonnement des montants.

Cet état des choses aiguise les appétits des acteurs et accroît la propension des catégories d’acteurs non bénéficiaires à employer tous les moyens pour en être, eux aussi, d’une manière ou d’une autre, bénéficiaires d’avantages semblables.

La pratique de fonds communs et assimilés dans l’administration financière publique existe depuis 1963. Effectivement, n’a-t-on pas coutume de dire en Afrique « qu’on ne peut donner du miel aux enfants sans lécher les doigts ». Toutefois, on ne dit pas non pas plus qu’il faut manger tout le miel et donner les doigts à lécher aux enfants. C’est vrai, qu’il est difficile d’accorder des avantages pécuniaires aux travailleurs et de revenir là-dessus, tout comme il est difficile de supprimer un impôt et de l’instituer à nouveau. L’expérience a démontré que toutes les tentatives dans les deux sens sont vouées à l’échec.

Les fonds communs jouissent déjà d’une base légale solide mais non pertinente. En effet, des textes réglementaires ont consacré et consolidé au fil du temps les fonds communs et assimilés. En effet, au niveau du Trésor public, il faut noter qu’en plus des Arrêtés ministériels de 2011 et de 2013, la création en 2017 d’une prime sur les produits financiers au profit des agents du Trésor, assise sur la totalité des intérêts créditeurs des comptes du Trésor dans les banques et des gains de changes sur les transferts effectués par le Trésor en devises sur la période au titre de laquelle elle est due.

Au niveau des impôts, à la Décision ministériel de 2011 et l’Arrêté ministériel de 2013, on peut ajouter la création en 2017 d’un fonds de lutte contre la fraude à la DGI, financé par les pénalités. Les 75% de ce fonds sont reversés aux travailleurs des impôts au titre de leur stimulation à la lutte contre la fraude, suivant une périodicité trimestrielle.

Concernant la douane, les fonds communs et assimilés sont régis par une batterie d’Arrêtés ministériels portant entre autres sur les modalités de répartition des pénalités, des amendes et confiscations recouvrées au profit du fonds d’équipement du MINEFID.

Au niveau des agents du ministère de l’économie, des finances et du développement, en plus des Arrêtés de 2012 et de 2013 portant sur l’allocation d’un fonds communs aux agents dudit ministère, on note que les négociations en 2017 entre le Gouvernement et le Syndicat National des Agents des Finances (SYNAFI) ont fait évoluer les choses, notamment en ce qui concerne l’indexation, les montants et le mode opératoire du Fonds commun alloué. En effet, une partie du fonds communs est désormais indexée sur le principal des recettes.

A la lecture de tous ces textes portant sur les fonds communs et assimilés, on comprend bien que les objectifs premiers recherchés à travers une telle pratique sont :

  • la motivation des agents des régies financières pour un meilleur recouvrement des recettes de l’Etat ;
  • la lutte contre la fraude et la corruption aussi bien dans le recouvrement des recettes que dans la gestion de la dépense publique ;
  • la lutte contre l’évasion fiscale ;
  • la recherche de l’efficacité et de l’efficience de la dépense publique.

Au-delà de la politisation du débat actuel relatif aux fonds communs et assimilés qui divise et dérange, il faut plutôt se poser la question du lien entre le FC et les performances dans les régies financières. Est-ce que, les primes servies aux agents du MINEFID sont en cohérence avec les performances réalisées ? Pourquoi, le Gouvernement après avoir accordé ces avantages aux agents du MINEFID en fait tout un tas ?

Dans son intervention devant l’Assemblée nationale burkinabé vendredi 23 mars 2018, la ministre de l’Économie et des Finances (MEF) Rosine Hadizatou Coulibaly est revenue sur ce sujet-épine que certains agents de la Fonction publique récusent d’en parler. Selon Mme Coulibaly en 2016, les agents du ministère de l’économie et des finances ont touché un salaire de 23,851 milliards de FCFA contre un Fonds commun de 26, 967 milliards, ce qui fait dire à la ministre que «Dans certains cas, le fonds commun (FC) dépasse le salaire de l’agent». Elle a aussi relevé que le FC est passé de 20,11 milliards de FCFA en 2012 à 55 milliards de FCFA en 2017 au niveau de son département. Elle a précisé enfin qu’en 2017, un cadre (Catégorie A) a touché «un peu moins 6 millions de FCFA» de FC contre 4,5 millions de FCFA pour un agent de catégorie E (bas d’échelle). Ces chiffres ne sont pas encore alarmants mais doivent à être contenus dans des proportions réalistes par un plafonnement du FC. Ne dit-on pas que « l’appétit vient en mangeant. » par ailleurs, il faut noter que le principe du fonds commun est reconnu et accepté dans la plupart des pays comme élément de motivation et outil de lutte anti-corruption. Il faut simplement l’avoir sous contrôle pour qu’il puisse produire des effets bénéfiques pour toute la nation.

Toutefois, dans le cas du Burkina Faso, le fait d’indexer désormais, la cagnotte globale du FC sur une partie du principal du budget national pose une double problématique : la première, c’est l’illégalité dans l’affectation des recettes publiques à un poste de dépense non autorisé pas le parlement. La deuxième questionne l’absence de lien entre le FC servi à un agent et les performances que l’agent en question réalise.

Au regard de ce qui précède, et en dépit de la pertinence du FC, on note que la pratique actuelle de l’octroi du FC au sein du ministère n’est pas pertinente et contribue à asseoir une injustice fiscale dans le pays qui est malheureusement légalisée. Que faire alors pour les frustrations nées de cette injustice ne détériore pas davantage le climat social déjà fragilisé ?

Pour assurer une certaine justice fiscale et sociale le gouvernement doit :

  • plafonner la cagnotte globale à partager même si elle est assise sur l’accessoire ;
  • travailler à mettre en place un dispositif de mérite réaliste sur lequel est indexé l’octroi de la prime de rendement ou FC ;
  • supprimer purement et simplement les FC qui sont indexés sur le principal du budget et non sur l’accessoire (pénalités et autres amendes) ;
  • travailler à assurer les services publics de base à la population. En effet, tout ce débat est lié à l’extrême pauvreté des populations et à la démission du gouvernement dans la satisfaction des besoins sociaux des masses laborieuses ;
  • respecter les procédures prescrites en matière d’affectation des recettes budgétaires en requérant l’autorisation du parlement sur le poste de dépense alloué au FC.

Hermann DOANIO

Economiste, Expert des Finances publiques

Secrétaire Exécutif de CERA-FP

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